Quelques chaises, une fontaine à eau, une boule à facettes flottant au-dessus d'un parquet ancien diamanté et une petite plateforme accessible par deux marches : le décor est sobre et convivial, à l'image d'une salle de bal au charme désuet où l'on se retrouverait pour le thé un dimanche après-midi.

Comme nous le dit Jacqueline, notre première interlocutrice de 91 ans, ‘je veux faire l'amour tous les jours’. Le spectacle est lancé : cette bande de 7 joyeux lurons, dont la moyenne d'âge est de 80 ans, vient nous parler de l’amour qu'ils font, mais aussi de celui qu'ils ressentent, écrivent, attendent, cachent ou perdent. Ils sont entourés sur scène de Yasmine Hadj Ali présentée comme une aide-soignante, et d’El Khatib lui-même, dans le rôle attachant d'agitateur cher à ses pièces.

Si l'on pensait que le désir était exclusivement lié à la jeunesse, il n'en est rien ! Non seulement, il persiste, mais le besoin de le satisfaire est plus fort que jamais. Que le corps réponde encore ou non, l'appétit sexuel de nos aînés reste vif, et il peut se manifester aussi bien dans la créativité poétique que dans l'intimité du corps, qu’on se le dise !

À travers leurs histoires, nos vieux - comme ils ont demandé à El Khatib de les appeler - abordent, avec tendresse et humour, des aspects fondamentaux de la vie qui sont encore marginalisés par la société. La composition ‘signature’ d'El Khatib est basée sur un matériel documentaire recueilli à partir des témoignages de personnes âgées de la Résidence Sainte-Gertrude dans les Marolles et d'un Ehpad (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) à Chambéry, en France, avec lesquels il a mis en place deux projets, respectivement la création du Centre d'art de la Résidence Sainte-Gertrude et le projet de film intitulé ‘Le grand âge de l'amour’.

Ces pensionnaires de maisons de retraite parlent de l'amour et de la sexualité, tant hétérosexuelle qu'homosexuelle, sous de nombreuses formes : le couple, les relations clandestines, la libido, la masturbation, l'érection, la séduction, l’orgasme, la maladie, le Viagra, le clitoris, la pénétration, la prostitution, la tromperie, la jalousie et l'assistance sexuelle.

   Ils nous livrent leurs joies, leurs impatiences et leurs satisfactions, mais aussi leur honte, leur colère et leur acceptation de certaines situations    

Le contenu émotionnel de ‘La Vie secrète des vieux’ est puissant et élégamment traité par ces acteurs de la vie réelle. Ils nous livrent leurs joies, leurs impatiences et leurs satisfactions, mais aussi leur honte, leur colère et leur acceptation de certaines situations, avec un courage propre à l'enfance et une désinvolture chère à l'adolescence. L'une des raisons de cette sincérité sans fard est que la perspective de la mort leur donne tout le cran nécessaire pour en profiter au mieux avant la fin de leur vie.

La pièce a également une forte dimension politique. De manière très fluide, ce spectacle aborde des sujets de société connexes à la sexualité tels que l'éducation religieuse, l'homophobie, la solidarité, les attitudes infantilisantes, le manque d'autonomie, les mesures de protection mises en place par les héritiers des personnes âgées, le consentement, les testaments, le suicide, le racisme, les classes sociales et les différences juridiques entre les pays.

El Khatib, bienveillant et attentif, partage la joie enfantine de ses compagnons en intervenant sur scène pour donner des répliques et faire des ajustements, ou depuis le bord du plateau pour assurer le suivi du script. Ne manquant pas d'interroger le rôle du théâtre dans la société, il se pose en aide-soignant artistique, veillant au bien-être culturel de l'ensemble de la salle.

Présente dès le début de la pièce, la talentueuse comédienne Yasmine Hadj Ali, dans le rôle d'une aide-soignante dévouée, révèle ses autres qualités de chanteuse et de danseuse dans un méta-show final au cours duquel nos vieux débattent de ce que serait le spectacle idéal. La réponse nous saute aux yeux : une démarche artistique exigeante soutenue par la générosité et l'hospitalité.

Artiste prolifique et audacieux, Mohamed El Khatib a déjà annoncé sur son site cinq nouvelles productions pour 2025 et 2026. Sa curiosité créative anime chaque domaine qu'il explore, offrant ainsi la possibilité d'influencer positivement les politiques publiques en matière de bien-être et de qualité de vie.